Brigitte Borchert

Elle n'a tourné qu'un seul fim, est revenue à une vie discrète jusqu'à sa mort à près de 101 ans, et pourtant  demeure une icône du cinéma d'Outre-Rhin...

Brigitte Borchert (1910-2011)

Brigitte Borchert, née le 15 novembre 1910 à Hambourg est une actrice allemande restée dans les memoires en dépit d'une carrière qui s'est limitée à un seul film et non des moindres, puisqu'il s'agit de "Menschen am Sonntag"

Elle passe  son enfance au Cameroun où son père était médecin et où il perd la vie au cours d'une mission dans des circonstances peu claires. Après la Première guerre mondiale,  Brigitte retourne en Allemagne avec sa famille et s'installe à Berlin. La grave crise économique qui affecte l'Allemagne contraint la jeune fille à trouver un emploi pour s'en sortir et elle devient vendeuse au 35, Kurfürstendamm, chez Electrola, une grande maison allemande de disque filiale de la la British Gramophone Company.

Jolie, dynamique, avenante, grande et mince, la jolie blonde de 19 ans aux yeux d'un bleu profond, attire tous les regards et c'est là qu'elle est découverte par Moritz Seeler,  poète, écrivain, producteur de films et homme de théâtre. Seeler, fondateur de "Junge Bühne (« Jeune scène »), un théâtre d'avant-garde né à Berlin au printemps 1922,  a cofondé quelques semaines plus tôt, avec deux jeunes cinéastes, Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer, en juin 1929, une maison de production cinématographique appelée Filmstudio 1929 pour faire des films sur la vie réelle et pouvoir créer en toute liberté et en dehors des diktats de l'industrie du film.

Par un heureux hasard, Robert Siodmak vient de recevoir la somme de 5000 marks en cadeau de son oncle et son frère Curt Siodmak a justement un sujet de film pouvant être réalisé avec des moyens limités. Ce sera "Menschen am Sonntag" (Les hommes le dimanche), un film décrivant la vie de jeunes berlinois de condition modeste en cette fin des années vingt, l'un des premiers films indépendants et précurseur du néoréalisme d'après-guerre dans lequel Brigitte Borchert tiendra l'un des quatre rôles principaux.

Le tournage, qui a pour décor un Berlin aujord'hui hélas disparu, le  Wansee et la forêt de Grünewald commence à la mi-juillet pour se terminer en décembre 1929, et n'a lieu que le dimanche car comme Brigitte, les autres acteurs sont des amateurs dont les activités professionnelles respectives les rendent indisponibles en semaine.

Brigitte Borchert y est resplendissante. Sa chevelure blonde et souple, son teint clair, la profondeur de son regard, la finesse de ses traits, sa longue silhouette mince, sont autant d'atouts captivants auxquels ils ne manquent qu'une voix que l'on suppose suave et envoutante. Elle exhale aussi une charge érotique subtile qui n'échappe pas Rochus Gliese, qui tient la caméra, lorsqu'il capte la transparence de la robe blanche de Brigitte...Vraiment en avance sur son temps au regard de la miévrerie des films de l'époque, le film s'avère suggestif. Brigitte se laisse caresser la poitrine par Wolfgang et montre sans ambages qu'elle est prête à l'intimité. Une intimité suggérée après que Brigitte se soit laissé poursuivre par Wolfgang jusqu'à un lieu propice au fin-fond de la forêt, puis après l'Amour, lorsque la jeune femme adopte une attitude lascive. Ces scènes de proximite entre les deux protagonistes sont on ne peut plus réalistes et pour cause. Une idylle, vite abrégée par l'épouse de l'acteur,  est née entre Brigitte et Wolfgang. L'Amour de Brigitte pour son partenaire crêve l'écran!

S'il ne vient même pas à l'idée de la jolie vendeuse de disque que le film marquera l'histoire du cinéma, elle est par contre très attirée par Wolfgang von Waltershausen. Issu de la noblesse, il éblouit la jeune femme par sa classe et sa gentillesse naturelle.. Les barons de Waltershausen résident en Basse Franconie. L'arrière-grand-père de Wolfgang, Georg Sartorius, était un économiste national et l'ami de Goethe. Le prince poète devient le parrain du fils de Sartorius. Depuis lors, le premier-né s'appelle toujours Wolfgang. Cela s'applique également à Wolfgang, né en 1900. En outre, elle  le trouve intelligent et tout à fait "sexy". Mais Wolfgang n'est pas libre. Il a une petite amie permanente qui est toujours près de lui même quand il tourne.La femme qui s'oppose à Brigitte Borchert est Annemarie von Below. L'idylle tourne court...Annemarie deviendra bientôt la femme de Waltershausen dont les apparitions au cinéma et fut elle suggérée, la scène  d'amour avec Brigitte sont fraichement accueilies par les von Below. Peu après la naissance de leur  fils Ilo, en 1937, le couple divorce. Pendant la guerre, Wolfgang rencontre  Margit et se marie avec elle. Tout comme pour Brigitte, il trainera jusqu'à la fin de sa vie une éternelle tristesse au souvenir des  instants de bonheur de l'été 1929,

L'on est également frappé par la vitalité de la jeune femme. Quand bien même elle soit en talon hauts, elle court, elle saute, elle virevolte, fait des roulades dans les hautes herbes pentues, montrant une énergie qui contraste avec la relative passivité de Christl Ehlers. Mais courir en talons n'est pas exempt de risques et chose que le film ne montre pas, Brigitte finit par se fouler la cheville et on la voit furtivement boiter au loin lorsque presqu'à la fin du film, le quatuor quitte le Wansee pour regagner la gare.  

Le 4 février 1930, le cinéma allemand vit un de ces moments qui font la magie du cinéma. Un film sort en salles censé enchanter les gens et personne ne s'attend à son succès. "Menschen am Sonntag" est ereinté par une partie de la critique, celle qui est inféodée à la production cinématographique. Mais il connait le succès auprès du public. A l'issue de chaque projection, Brigitte Borchert, payée cinq marks pour l'occasion, apparaît dans la salle sous les acclamations. Mais la jeune femme garde la tête froide.

La crise économique frappe l'Allemagne et Brigitte qui a perdu son emploi de vendeuse, travaille ensuite comme secrétaire. Parallèlement, elle fréquente les cercles artistiques berlinois et en particulier le "Romanisches Café" (« Café roman »), le lieu de rencontre de l'avant-garde berlinoise, où se réunissent les principaux écrivains, peintres, acteurs, réalisateurs, journalistes et critiques de l'époque. En même temps, c'est un lieu pour les artistes en herbe qui essaient de lancer leur carrière en y établissant leurs premiers contacts. Brigitte Borchert y fait la connaissance de Willy Jaeckel, un peintre et lithographe expressioniste de vingt deux ans son ainé et avec lequel elle noue une idylle qui va durer six années. Elle espère un avenir avec lui,  Mais Jaeckel,marié, ne veut pas d'enfants et n'entend pas divorcer non plus. Le sort des maîtresses qui brulent leur jeunesse pour l'égoïsme d'un homme fut il brillant, et finissent leur vie dans la solitude, ce n'est pas pour elle. Elle le quitte 

Brigitte Borchert connait une courte période au cours de laquelle elle apparait dans des spots publicitaires tournés en couleurs avec le procédé néérlandais Sirius Color  qui ne sera utilisé que pour quelques courts métrages et films publicitaires. .

Elle avait pensé trouver en Jaeckel à la fois ce père trop tôt disparu, la stabilité d'une vie de couple, fuir une condition précaire mais surtout fonder une famille. Cela avait été un échec mais elle restait déterminée.

En 1936, à vingt-six ans, Brigitte épouse Wilhelm M. Bush, vingt-huit ans, illustrateur de presse et  artiste indépendant. Elle se fait appeler Brigitte Busch car elle a compris que son patronyme ayant une certaine célébrité, elle serait à l'abri des "amicales" pressions du Ministère de la propagande.  Ensemble, ils auront trois enfants, dont Thomas Busch, lui même devenu illustrateur connu. "Mon beau-père était peintre, mon mari illustrateur, ma petite-fille est peintre. Je suis la seule à n'avoir rien d'artistique dans ler sang" dira Brigitte Busch en 2000.

Elle ne réapparaitra plus à l'écran. Renoncer au cinéma est une décision mûrement réfléchie. . Elle savait ce qui était arrivé à son ex-amant Jaeckel démis de ses fonctions de professeur agrégé à l' Université des arts  de Berlin à l'arrivée des nazis et dont en 1937, certaines  œuvres avaient été officiellement classées comme "dégénérées". Elle n'ignorait pas non plus qu'a l'arrivée au pouvoir du parti nazi, l'émigration subséquente de la plupart de ses habitués avait marqué la fin définitive du "Romanisches Café" en tant que lieu d'artistes. En dépit de ses talents et de sa beauté, elle se replia dans son rôle d'épouse et de mère, n'ayant nulle envie de devenir une des égéries du cinéma dirigé par Goebbels où son physique aryen aurait fait forte impression.

Brigitte Borchert a du souvent tout recommencer. En 1943, alors que son mari a été enrolé dans la  Propagandakompanie (unité militaire créée en 1938 par Goebbels et chargée de la propagande à destination des soldats , de la population allemande et des populations des territoires occupés par les troupes allemandes).elle doit quitter Berlin. Sa maison brûle, les bombardements s'intensifient. Elle part avec ses enfants pour sa ville natale, Hambourg, et installe sa famille dans une demeure cossue du quartier de Blankenese. Pour autant, dans son coeur, et bien qu'elle aime la vue sur l'Elbe depuis son salon, Berlin restera pour toujours sa ville de coeur.

Jusqu'à sa mort survenue le 7 aôut 2011 dans sa 101ème année, elle ménera une existence discrète dans ce quartier résidentiel huppé connu pour ses maisons à colombages de pêcheurs et ses villas d'avant-guerre, bordant les escaliers sinueux du quartier de Treppenviertel. Son époux meurt en juillet 1987. Elle fera néanmoins une apparition en 2000, à l'age de 90 ans, le souffle court mais la mémoire intacte, toujours son merveilleux sourire aux lèvres, dans le documentaire "Weekend am Wannsee" de Gerald Koll célébrant les 70 ans de la sortie du film. égrénant ses souvenirs de l'époque du tournage au côté de Curt Siodmak, autre dernier survivant de cette aventure. En effet, entretemps, Erwin Splettstosser, le chauffeur de taxi, avait connu une mort tragique à 25 ans  le 2 février 1932, son taxi dont il venait de descendre et dont il n'avait pas serré le frein à main lui roulant sur le corps et le tuant sur le coup. Un 2 février aussi mais en 1960, Christl Ehlers perdit la vie en compagnie de son mari dans un accident d'avion survenu aux Etats Unis où elle avait émigrée peu après  l'arrivée des nazis. Wolfgang von Walthershausen, pour sa part, était décédé en 1973 et personne ne savait ce qu'était devenue Annie Schreyer, la ravissante brune aux yeux bleus, compagne d'Erwin dans le film.

Brigitte Borchert repose aux côtés de son mari au Friedhof Blankenese et personne ne l'a oublié.